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17 janvier 2012 2 17 /01 /janvier /2012 09:50

Les gens me disent souvent que j’ai de la chance de faire ce que je fais, que je vis des trucs cool dans mon métier. C’est vrai ! En partie. Oui je vis des bons moments, des instants privilégiés avec tel ou telle artiste, je vais ici et là, d’une ville à l’autre, et tout cela me plaît beaucoup je le concède volontier. Mais ne vous méprenez pas, ma vie dans le showbiiinnnsss est loin d’être de tout repos et il y a bien souvent des épreuves à traverser pour mériter, je pense, ce cadeau qui m’est fait chaque jour de vivre mon quotidien spectaculaire !

Je vais vous raconter une petite anecdote comme il peut y en avoir quelques fois et qui illustre bien ce qui peut être vécu parfois comme un exercice sinon douloureux du moins éprouvant. L’histoire à lieu à Paris Bercy et nous travaillons sur les dernières dates de la comédie musicale Mozart Opéra Rock. Pour vous situer le contexte dans lequel nous évoluons sur cette série de dates il faut savoir que le palais omnisport de Paris Bercy n’est pas l’endroit le plus charmant du monde et qu’à l’idée d’y travailler on ne se réjouit pas. Personne ne se dit chouette ! on bosse à Bercy !, personne ne saute de joie à l’idée de descendre dans le ventre de ce vaisseau pour une journée de labeur fusse-t-elle dans le showbiiinnnsss. C’est un endroit où l’on attend qu’une seule et unique chose c’est d’en sortir le plus vite possible. Et lorsqu’on bosse sur ce genre de production on signe en général pour une période d’au moins une semaine et mis à part le fait que la tâche qui nous incombe pèse bien sûr de tout son poids sur nos frêles épaules il va sans dire qu’autre chose de bien plus énorme vient nous harceler, nous  assaillir comme un besoin vital, une sorte de pulsion primaire qui doit sans doute s’apparenter à ce que doit ressentir celui qui est en train de se noyer ; je veux parler de cette indéfectible volonté de remonter à la surface, de hisser la tête hors de l’eau. 

Donc nous sommes mercredi et il fait peut-être beau à l’extérieur mais peu m’importe. Il doit être quelque chose comme 16h00 et je suis affairé à préparer une des multiples entrées du buffet de ce soir. Il est donc l’heure du goûter et la Verge (c’est un de mes collègues que je nomme ainsi pour des raisons que je ne mentionnerai pas ici) me dit : « Je te serre un Ricard ? »

Ce à quoi je réponds « oui » car j’ai moi aussi un petit creux. Du coup l’ensemble de l’équipe décide de se joindre à cette petite récréation plutôt sympathique et nous convenons d’un commun accord de nous en servir un deuxième puisqu’il est maintenant 16h02. Je retourne à mes occupations et pense que nous avons bien fait de ne pas pousser plus loin cette aventure anisée. Oui, nous avons bien fait me dis-je encore en moi-même. Mais voilà Ramecain (c’est un autre de mes collègues que je nomme ainsi pour des raisons que je ne mentionnerai pas ici) qui s’approche de moi par la droite, et je me demande pourquoi il choisit cette option, il est 16h15 et il me dit la chose suivante : « Je te serre un Ricard ? »

Une impression de déjà-vu me traverse l’esprit une seconde, le temps qu’il me faut pour répondre « oui » bien que je n’ai plus faim, mais étant courtois je ne peux décliner l’invitation. Du coup l’ensemble de l’équipe décide de se joindre à nous dans un pur élan de solidarité et d’un commun accord nous optons de réitérer cet élan formidable à 16h17 très précise. Bien. Je retourne à mes salades, je souris, je pense à Marseille, et j’ai une espèce de petite cigale dans le creux de mon oreille qui ne cesse de me rappeler combien le soleil de méditerranée doit être agréable à cette heure-ci. Bizarrement les tomates devant moi me font rire et je décide de leur laisser la vie sauve. Au moment même où je les épargne j’entends la voix de Guimeliaume (c’est mon troisième collègue que je nomme ainsi pour des raisons que je ne mentionnerai pas ici) me demander si je veux boire un Ricard. Comme il est 16h25 je me dis pourquoi pas et cela pour diverses raisons. La première est que je ne veux en aucun cas faire de la peine à mon collègue en répondant par la négative, la seconde est que je souhaite plus que tout faire plaisir à mon collègue en répondant par l’affirmative, et la troisième raison est que cette question me fait tout simplement rire. Alors il me serre un verre et l’ensemble de l’équipe décide de se joindre à nous en riant également. Il est 16h27 et le temps passe décidément très vite puisque nous nous resservons un godet  sans vraiment comprendre pourquoi.  C’est alors que les sous-sols de Bercy prennent soudain des allures de vieux port, notre cuisine est une sorte de guinguette aux accents du midi et nous buvons, nous chantons, nous buvons encore, et l’ivresse nous emmène ainsi dans sa grande bonté jusqu’à la fin du service dans une joie pas dissimulée du tout laissant derrière nous le souvenir d’une bouteille de pastis tristement vide présageant certainement d’une nuit à venir des plus sereines.  Il est maintenant 23h30 et il est temps pour nous de rejoindre notre hôtel. C’est ce moment précis que choisis la Verge pour dégainer une bouteille toute neuve de Jack Daniel’s dans ma direction en prononçant ces quelques mots : « Dis-moi D2 (c’est moi que l’on nomme ainsi pour des raisons que je ne mentionnerai pas ici) ça te dirait un petit apéro ? »

Là je comprends vite que si j’accepte ce verre nous sommes tous perdus et c’est la raison pour laquelle je réponds « oui » sans hésiter. L’ensemble de l’équipe nous rejoint et comme il est déjà 23h31 nous reprenons de manière tout à fait instinctive un autre verre de Jack. Il nous faut vraiment partir dans les plus brefs délais sans quoi nous allons vider cette fichue bouteille sur place et donc nous décidons de retarder notre départ pour l’hôtel ce qui a pour incidence de précipiter la fin de vie de Jack et Daniel à présent disparus à jamais. Nous amorçons notre départ dans des conditions mal appropriées à la marche à pied et je dois bien reconnaitre que la ligne droite n’est plus du tout une priorité. Nous prenons quelques provisions pour l’hôtel à savoir 1 quiche lorraine et 3 bouteilles de vin.  Comme nous sommes 4 nous mettons chacun un objet dans une de nos poches et partons enfin. L’itinéraire est assez complexe et c’est peut-être la raison pour laquelle nous perdons toutes traces de la Verge en chemin, mais comme nous sommes ivres la jungle urbaine ne nous fait même pas peur et à force de persévérance, d’inconscience et surtout de chance je crois nous arrivons aux portes de notre hôtel. Nous entrons les uns après les autres et traversons le hall spacieux et parsemé d’une cinquantaine d’étudiants brésiliens. Il y a là une espèce d’atmosphère qui me plait et tout en singeant la sobriété devant le concierge de l’hôtel je me prends d’une soudaine affection pour un jeune chien à poil court mais très vite Guimeliaume me fait remarquer, et à juste titre, que l’objet de mes caresses est en réalité un sac de voyage, alors je l’appelle Alexandre et lui jette une sucrette. Pendant ce temps Ramecain s’occupe de récupérer les clés de nos chambres et remercie le jeune homme zélé en uniforme en lui disant « merci madame ». Il me semble que tout va bien lorsque j’aperçois le ficus géant en face de moi tenter de me séduire et je tombe sous le charme ce qui n’est pas du goût de mes compagnons puisque je tente de le trainer jusqu’à l’ascenseur. J’oublie finalement cette idée lorsque je m’aperçois qu’il s’agit en réalité d’un Spathiphyllum (je pourrais vous en dire plus sur ce genre de plantes à feuillage persistant mais ce n’est ni le lieu ni le moment). Rapidement nous nous retrouvons face aux ascenseurs un peu comme au garde à vous mais avec beaucoup plus de style qu’un militaire de carrière. Et tout en fixant le cadran lumineux indiquant les étages s’égrainant les uns après les autres quelque chose me pousse, ou plutôt non ! Quelque chose m’attire sur mon flan gauche. Une force indescriptible provoque en moi le besoin de me tourner d’un quart de tour. J’observe d’ailleurs à ma grande surprise que la partie inférieure de mon corps est bien plus rapide que la partie supérieure dont mon visage fait partie et cela me donne envie de vomir alors je patiente une demi-seconde et lorsque l’ensemble de mon corps est enfin aligné je découvre avec joie ce que mes yeux tentent de me faire découvrir. Le « Cosmo Plus Design », capot en aluminium, 2 brosses à reluire, 1 brosse à nettoyer, 1 distributeur automatique de cirage, 130 watt, réservoir de 0,70 L avec soupape à bille, capot chromé (Afin d’illustrer au mieux cette histoire il faut se faire une idée très précise de l’objet, je vous laisse le lien très utile qui vous permettra d’imager le propos.  (http://www.shoeguard.com/photo/2011/fr/cireuse+a+chaussures+CosmoPlusdesign.jpg ) . Une putain de cireuse ! Elle est auréolée d’un halo de lumière bleutée que seul moi est en mesure de percevoir. Il n’y a aucun doute nous avons affaire à la Rolls des cireuses de hall d’hôtel. Elle est là et ne demande qu’à faire son travail. Alors, au prix d’un effort dont vous n’avez pas idée je tente de contacter Ramecain se trouvant à 24 années lumières de moi mais je n’y parviens pas alors je tends mon bras pour agripper son épaule. Il comprend dans l’instant qu’il nous reste, en dépit de tout l’alcool qui tente de nous sommer d’aller nous coucher enfin, le goût de l’aventure urbaine, l’aventure moderne, et qu’il nous faut absolument préserver cela. Mieux ! S’en emparer tant qu’il en est encore temps ! Alors comme un seul homme nous nous emparons du Cosmo Plus Design pour l’enfiler dans l’ascenseur qui vient de s’ouvrir. Nous voilà, nous et notre objet, sur le point d’appuyer sur la touche numéro 2 ce qui va nous propulser jusqu’à notre chambre. Mais un couple de vieux plutôt propre vient interrompre la fermeture des portes de notre vaisseau spatial et tout en nous saluant d’un signe tête muet les deux tourtereaux s’immiscent dans notre vie d’ascenseur très privée. Leur regard se dirige vers le Cosmo Plus Design que je caresse nonchalamment de la paume de ma main, Ramecain regarde le vieux en riant à pleines dents sans raisons apparentes avec des yeux scintillant de bonheur, Guimeliaume reste prostré face au coin de l’ascenseur comme une élève de CE2 puni par la méchante maîtresse. Je crois que le couple a peur mais juste avant que les portes ne les libèrent je leur dis que tout est sous contrôle et qu’ils ont tort d’être inquiets alors ils me disent « gute nacht », je cherche quoi dire et je trouve vaguement une phrase de circonstance : « Rolf und Gisela sind in der baum ». Ramecain se met à rire en allemand  et Guimeliaume  danse. Avant que les portes ne se referment complétement je peux constater que les deux vieux courent dans le sens opposé du nôtre ce qui prouve bien le manque de sociabilité évident du troisième âge envers les jeunes de 40 ans et 4 grammes.  

Nous arrivons enfin dans notre chambre, Guimeliaume danse toujours, Ramecain et moi hissons le Cosmo Plus Design sur la petite tablette servant de bureau et le relions à la prise de courant pour le mettre sous tension. Ca marche !!! Les brosses tournent et nous hurlons notre joie à gorge déployée et nous ouvrons une nouvelle bouteille de vin pour rendre hommage à Otto von Guericke ! Et puisque le but premier de notre machine est de lustrer alors nous décidons de lustrer. Tout d’abords nos chaussures, puis différents objets tels que téléphones portables, clés, stylos et autres ustensiles susceptibles de pouvoir être enfilé dans notre nouvel ami et la vie est formidable puisque tout semble pouvoir être lustré alors nous ouvrons une autre bouteille de vin. Je tente vite fait de me lustrer les dents mais les résidus de cirage présents sur les brosses me dissuadent d’aller plus avant dans mon expérience et m’encourage à finir la bouteille de vin précédemment entamée. Sans vraiment se le dire chacun d’entre nous cherche quelque chose à lustrer, et d’ailleurs il est intéressant de remarquer qu’il est plutôt rare de se poser ce genre de questions, j’ai beau me retourner le ciboulot je n’ai pas le souvenir d’avoir un jour cherché à savoir quel objet aurait les faveurs de ma lustreuse préférée. Mais l’heure est à l’expérimentation puisque nous découvrons la présence de notre quiche lorraine dépassant de la veste de Guimeliaume. Il nous faut pas plus quelques secondes pour débarrasser le film plastique qui protège la tarte aux lardons visiblement  impatients de se voir lustrer sous toutes les coutures. Je crois que nous prenons un air solennel dans les minutes précédant le bouquet final. On se recueil autour du Cosmo Plus Design, nous nous signons, buvons le sang du christ, gonflons le torse. Ramecain approche sa main du pommeau  de commande, il le presse et les rouleaux brosses se mettent à tournoyer à toute vibure. Timidement j’approche la quiche, doucement, avec retenue, Guimeliaume se cache derrière un oreiller et semble être épris d’une angoisse aux vues de ce qui risque d’arriver. Ca y est ! J’engouffre alors la totalité de la quiche dans le tourbillon infernal et le feu d’artifice commence ! La quiche, sous la vitalité des rouleaux lancés à pleine vitesse, explose littéralement et vole en éclats envoyant des dizaines de lardons de toutes parts et pulvérisant la totalité du reste de la spécialité lorraine. Une pluie de flan salé s’éparpille dans toutes les directions. L’action dure une seconde et demi mais le spectacle est au-delà de toute attente puisque la chambre est maintenant maculée du sol au plafond. Je crois que nous allons pour la première fois de notre vie, ce soir, dormir dans une quiche lorraine. Le spectacle est à peine croyable mais il est bien réel. Notre Cosmo Plus Design est vraiment la championne des championnes et la brochure ne nous trompe pas puisqu’elle dit ceci : «Cosmo Plus Design jouira d’une grande popularité et attirera les regards par sa jolie forme, aussi bien dans les ménages aisés que dans les hôtels ou les bureaux soucieux d’apporter un service discret et fiable à leurs visiteurs. » Alors je peux le dire avec force, cette cireuse est fiable bon sang et… discrète ça c’est sûr puisque nous venons de repeindre notre chambre d’hôtel en moins de deux seconde sans que le personnel de l’établissement ne puisse s’en douter. Guimeliaume est toujours reclus dans la cale de notre navire d’un soir accroupi au sol, peut-être pleure-t-il, quelques lardons fumés parsèment son crane imberbe. Ramecain me fixe du regard et me fait comprendre que le temps est venu de nous séparer du Cosmo Plus Design, il faut effacer tout soupçon quant à l’empreint de notre cireuse géniale. Je prends peur alors et j’ouvre la fenêtre me saisit avec force de l’objet du délit et décide de la balancer par-dessus bord mais elle est lourde la garce, bien trop lourde pour un homme seul et saoul. Je somme Ramecain de bien vouloir m’aider mais mon geste semble le surprendre et l’inquiéter puisqu’il me dit : « Non D2 ! C’est bien trop dangereux ! »

Il me tend alors une chaise, je m’en saisis et d’un geste révolutionnaire je l’envoie s’écraser 2 étages plus bas. La vache ! On a évité le pire. Le calme après la tempête. Un vent frais traverse la pièce. Le silence également. Il est 2h43. 20h43 à New York mais cela n’a aucune importance puisque nous sommes à Paris. Nous raccompagnons Guimeliaume et le Cosmo Plus Design jusqu’à leur chambre, nous leur souhaitons une agréable nuit. Nous récupérons le téléphone portable de l’un d’entre nous dans le ventre de la cireuse mais il est difficle voire impossible de reconnaître le modèle ou la marque de l’objet tant il est recouvert de ce mélange de cire à chaussure, de lardons et de crème.  Ramecain et moi regagnons notre chambre-quiche sur Boogie wonderland d’Earth Wind and Fire et le couloir de l’hôtel est une sorte de walk of fame constellé de millions d’étoiles éclatantes, les murs envoient des couleurs plus belles les unes que les autres, le sol est un dancefloor où nous dansons, l’ensemble du personnel de l’hôtel en haie d’honneur nous recouvre de confettis multicolores, Ramecain et moi faisons corps dans une parfaite chorégraphie qui nous emmène vers la félicité, nous sommes en 1979 et nous sommes les Earth Wind & Fire, nous sommes noirs, nous sommes ivres, vive le showbiiinnnsss, vive le funk, vive les cireuses, vive le vin, vive la vie !        

 

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