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14 février 2014 5 14 /02 /février /2014 13:35

Ce soir nous sommes invités à diner chez Thomas et Juliette et je me fais une joie un peu molle à l’idée de cette promiscuité d’un soir. Pas que je ne les aime pas, bien au contraire, je suis toujours heureux de retrouver Thomas au détour d’une terrasse ou d’un rayon de supermarché et je ne rechigne pas à tailler le bout de gras, étant de nature locace il ne me laisse que rarement l’occasion de chercher mes mots et me rendre compte que je n’ai, sinon rien, du moins si peu finalement à lui raconter. Quant à Juliette je l’ai bien vu sourire à plusieurs reprises ce qui tendrait à me laisser penser au fond qu’elle doit être empreinte d’une possible joie de vivre non feinte. Bref, nous sommes invités, nous sommes contents et c’est tant mieux. L’heure d’arrivée est fixée à 19h00 et nous sommes, une fois n’est pas coutume, ponctuels. C’est une très belle fin de journée d’été et cette ballade pour aller de chez nous à chez eux m’a mis en appétit et me rend bien-sûr impatient. Je ne l’ai pas dit mais c’est la toute première fois que nous passons délibérément Daniela et moi une soirée complètement organisée avec ce couple d’humains et malgré une aisance caractérisée par un sourire affiché je sens une fébrilité dans ma détermination à appuyer sur le bouton de la sonnette. Daniela me semble plus à l’aise, mais fréquentant nos hôtes d’un soir pour des raisons professionnelles cela lui confère quelques coups d’avance sur moi en la matière. Le bruit sourd des pas de Thomas annonce l’ouverture imminente de la porte devant laquelle nous sommes et je retiens un peu mon souffle sans savoir pourquoi. Nous sommes reçus avec le sourire et une joie non dissimulée. Nous entrons et je m’empresse de me débarrasser des 2 bouteilles de vin et du champagne que nous avons apportés en indiquant que le champagne et le vin blanc sont frais mais qu’il va de soi de les maintenir au réfrigérateur, quant au vin rouge je le verrais bien nous attendre dans un endroit à l’abri de la chaleur encore présente en ce début de soirée. Recommandations faites, nous sommes enjoint à prendre place dans le salon. Je me dis tant mieux et bêtement je me réjouis à l’idée de trinquer à n’importe quoi. L’endroit n’est pas sans charme et nous apprenons que les travaux ne sont pas encore terminés puisqu’il reste la chambre à peindre, le bureau à débarrasser et d’autres bricoles à peaufiner pour faire de cet endroit un vrai petit nid douillet. Comme je suis courtois et bien élevé je souligne l’importance des travaux dans une maison, que moi-même chez moi, que d’ailleurs le papier-peint, et que oui c’est sûr ma bonne dame, et patati et patata… Du coup Thomas nous envoie cette phrase que tout le monde redoute secrètement : « Ah ben tiens ! Je vais vous faire visiter ! » Ca tombe bien puisque Daniela et moi avons un faible pour les visites de pièces-en-travaux-pas-finies-du-tout, et nous enjambons les boites à outils, les cartons, les planches, et trébuchons sur quelques pots de peinture, et on admire le mur qui sera peint en vert à l’automne prochain, et on imagine sans mal la moquette qui devrait arriver la semaine prochaine si tout va bien, et il est 19h45 et j’ai de plus en plus soif bon sang de bois, et la visite des travaux est enfin sur le point de s’achever alors je respire et je pense à une prairie verdoyante sous un ciel bleu pâle, à la douceur du temps qui passe, aux coccinelles, et aux bourdons, oui, aux bons gros bourdons balançant leur popotin de fleurs en fleurs, et je me vois là, une brindille aux lèvres, et la voix de Thomas me dit : « On passe au salon ! » Putain ! Mais un peu qu’on va y aller au salon ! Me dis-je à l’intérieur de moi-même. Nous sommes assis et Juliette apparaît dans la pièce munie d’un plateau sur lequel repose 4 verres et une bouteille de bière Kronenbourg d’une contenance de 75 cl, pose l’ensemble sur la table basse et répartis équitablement le précieux liquide. Je regarde la scène avec beaucoup d’intérêt, d’impatience et un peu d’étonnement puisque sachant que les verres de Juliette ont une capacité de 25 cl, que le volume de bière que Thomas propose est égal à 0,75 litre, que nous sommes 4 dans un salon de 15 m2, que la température au sol est de 29°C, combien temps aura besoin Philippe Maurice pour se rendre compte que 18,75 cl de bière par personne ça fait tout de même très peu. Comme je n’ai même pas mon baccalauréat je me contente de d’essuyer une larme. Il est maintenant 20h30 et nous devisons de choses et d’autres et il me reste un crédit de 8,23 cl de bière tiède dans mon verre lorsque Thomas se lève enfin et se dirige vers la cuisine. Un spasme aux commissures des lèvres trahit ma joie soudaine à voir Thomas, pourquoi pas, avec une seconde bouteille de bière. Mais un second spasme, plus violent celui-là, s’empare de moi lorsque Thomas repasse la porte avec pour seuls bagages un paquet de tabac, des feuilles et un briquet alors j’essuie une autre larme. Il est maintenant 21h00 et nous conversons toujours et j’ai quasiment utilisé tout mon forfait puisqu’il me reste un crédit de 0,42 cl de bière chaude que j’ai du mal à apercevoir dans le fond de mon verre. C’est à ce moment-là que Thomas se lève et nous annonce qu’il va préparer le repas et invite Daniela à l’accompagner en cuisine, me laissant seul, et du coup presque mort, en compagnie de sa femme Juliette. Il est 21h30 lorsque, sans m’en rendre compte, je surprends ma propre langue léchant le fond de mon verre vide, je la rappelle à l’ordre avant que quelqu’un ne s’en rende compte mais j’éprouve les pires difficultés à la détacher. En effet, la conjugaison de la surface polie du verre et de la détermination de la bête dans sa quête de substance aqueuse semble faire l’effet d’une ventouse et il me faut redoubler d’effort et de discrétion pour rétablir le calme pendant que Juliette tente de me convaincre, d’après une thèse selon laquelle tout ce qui existe est de nature physique, de l’importance de la théorie de l’identité qui veut qu’un même état mental peut être identique à plusieurs états physiques différents, ce à quoi je réponds oui madame. Mais Thomas me délivre en nous appelant pour passer à table, alors je bondis et laisse Juliette, sans doute un peu déçue que nous n’approfondissions pas plus cette sombre histoire d’emmenthal physique, mais peu importe, il est temps, bordel de merde, de se mettre quelque chose sous la glotte. Nous nous asseyons autour de la table et constatons avec joie que Thomas est sur le point de commencer à attaquer la préparation de l’entrée, que le poulet rôti n’attend plus que quelqu’un se dévoue pour allumer le four qui va tenter de cuire la défunte volaille, et que Juliette semble vraiment intéressée de savoir ce que je pense de la philosophie quantique à trois dimensions, que nous ne sommes pas prêt d’en finir avec cette étonnante soirée, et je constate également que Daniela parvient sans mal à décrypter le message que mon corps entier n’arrive plus à cacher désormais et qui dit en substance ceci : Mais putain de bordel de merde, y-a-t-il quelqu’un dans cette putain de cuisine qui va enfin me demander si j’ai soif ?!!! Alors Daniela me regarde, se lève et laisse parler tout son génie et son audace en moins de temps qu’il ne faut pour le dire : Bon moi je boirais bien du blanc, toi Philippe tu préfères du rouge et pour le dessert on va boire le champagne mais il faudrait l’ouvrir de suite pour être sûr qu’il ne soit pas trop frais, Thomas, Juliette, ne bougez pas je m’en occupe, tiens, Philippe prend le tire-bouchon et débouche le deux bouteilles et serre-nous à boire s’il te plaît, voilà, allez on trinque ? A la vôtre !

 

Nous avons passé la soirée à manger, à parler de choses diverses et variées, et à boire du vin. Oui, du vin. Je ne me rappelle pas de tous les détails de cette charmante soirée mais je me souviendrai longtemps de ces 25 cl de bière et du temps qu’il m’a fallu pour les boire. Une éternité.

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