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23 août 2013 5 23 /08 /août /2013 10:43

J’avais 8 ans et le temps était venu pour moi de passer un cap dans ma vie de petit bonhomme. Je pouvais prendre seul le chemin de l’école comme un grand que je n’étais certainement pas encore. Ma mère m’avait annoncé cela la veille au soir et, pour dire les choses, mon impatience et l’appréhension liée à la crainte de l’inconnu et de la chose nouvelle avaient quelque peu ébranlé mon sommeil réparateur au point de ressentir, ce matin-là, une émotion particulière à mi-chemin entre la joie et la trouille. Je finirais par comprendre au fil du temps que cet antagoniste sentiment n’était pas si étrange ma foi et qu’il m’accompagnerait aujourd’hui encore. On appelle cela le trac je crois.

Je fus donc gratifié des dernières recommandations d’usage, parmi lesquelles figurait en tête l’interdiction formelle de mettre ne serait-ce qu’un petit doigt de pied sur la route, excepté lors de la traversée d’un passage pour piétons. Emu et fier j’empoignai mon cartable rempli de livres, de cahiers et autres crayons, et dans un élan d’enthousiasme non feint je pris enfin la route, ou plus exactement, le trottoir. Aujourd’hui encore je n’ai pas le souvenir de m’être senti aussi adulte qu’à cet instant où ma mère m’embrassa et me dit : Fais bien attention en traversant. La confiance accordée dans ses mots  en disait long sur tout le chemin parcouru jusqu’alors dans ma courte vie et cette phrase résonnait en moi comme quelque chose d’immense et presque effrayant. Pour la première fois de mon existence ma mère ne veillerait pas sur moi, elle ne me protègerait pas, et me laisserait, à moi et moi seul, cette inquiétante et tellement lourde responsabilité.

La poitrine gonflée et le pas décidé je négociais mon itinéraire avec une aisance plutôt déconcertante et bien surprenante. J’esquissais quelques regards dérobés en direction de mes arrières pour m’assurer de l’absence de ma mère, mais aucun signe tangible ne trahissait sa présence. J’étais bel et bien seul. Je regardais alors mes chaussures et je voyais des bottes de sept lieues sans aucun doute, le pensais-je, capables de m’emmener au bout du monde si je l’avais décidé. Mais comme ma mère ne l’aurait pas voulu je me contentai de gagner mon école. Et finalement, en quelques enjambées je parvins à la grille de la cours où déjà la sonnerie retentissait. Cette petite aventure m’avait semblé bien trop courte et il me tardait d’entendre sonner midi pour repartir de plus belle. Cette matinée fût l’une des plus longues qu’il m’est été donné de vivre. Mais à force de patience on obtient tout et c’est à douze heures zéro minute très précisément que nous fûmes libérés, moi, mon cartable et mes bottes de sept lieues. L’air vif du dehors me fouettait le visage et je n’avais même pas peur. Le sol défilait à toute vibure sous mes pieds comme un tapis roulant sur lequel rien ne pouvait m’arrêter. Trop facile ! C’est alors que mon fidèle cartable et moi-même décidâmes de corser un petit peu l’aventure. Je m’obligeais à frôler le bord du trottoir en imaginant le caniveau comme un précipice abyssale au fond duquel gisaient par centaines des crocodiles très moches et affamés n’attendant que de me voir chuter dans l’unique espoir de me dévorer et me voir mourir dans d’atroces et lentes souffrances.  Mais devant l’évidente facilité avec laquelle je bravais les pires dangers il me fallut accepter l’idée indiscutable que mon destin merveilleux de super héros venait de s’ouvrir à moi sans crier gare et rien ni personne désormais ne pourrait entraver l’histoire en marche.

Mais une suite d’événements malheureux eut raison de ma soif d’aventure. Car une énorme femme presque barbue surmontée d’un chapeau ridicule arrivant en sens inverse du mien me fît comprendre rapidement qu’il me serait loin d’être permis d’envisager de pouvoir rester sur le bord de mon ravin. Je devais me résoudre à laisser mon côté de trottoir au bénéfice de celui opposé au bord du précipice mais j’aperçus presque immédiatement les quatre roues d’une poussette s’engageant dans le dépassement de la vilaine et lourde madame ne laissant que peu d’espoir à l’idée d’être 3 de front dans cet espace réduit. Je compris aussi très rapidement et au regard de mes assaillants me faisant face que la priorité n’était pas de mon côté. Et c’est au moment où je réalisai qu’il me fallait abandonner mon rôle d’aventurier à la solde de mon imagination débordante que mon pied droit ripa et vint s’échouer dans le caniveau. Mes yeux s’écarquillèrent, mon cœur se mît à vouloir sortir de ma poitrine, et une chaleur intense s’empara de tout mon corps. Il était trop tard. Le mal était fait. A présent mes deux pieds se trouvaient sur la route et je regardais mes bourreaux passer leur chemin sans avoir prît la mesure de la catastrophe me concernant. J’avais désobéis à ma mère…

Du coup toutes mes idées de super héros, d’aventures, de ravins et de crocodiles s’évaporèrent dans l’éther de mon imaginaire de petit garçon pour retomber en une pluie froide sur la honte d’avoir failli à la mission d’homme responsable qui m’avait été confiée quelques heures plus tôt, à savoir ne pas mettre un pied sur la route. Le torse mou et tête baissée je finissais avec anxiété mon itinéraire désormais malheureux.

Lorsque je franchis le seuil de la porte je vis le regard aimant de ma mère et je sentis tout l’amour de ses lèvres sur mes joues fraîches. J’étais enfin à présent à l’abri de tout, à la maison dans la chaleur  du réconfort maternel. Tout était oublié. La table était mise. Ca sentait bon. J'étais bien.

Je regardais mon assiette, et le jus de viande nappait le bord de ma purée de pomme de terre, et l’odeur tiède du repas m’apaisait lorsque la voix de ma mère me fît parvenir cette phrase jusqu’à mes oreilles.

Pourquoi as-tu marché sur la route ?

Le rouge me monta instantanément au visage accompagné de cette question immense : COMMENT LE SAIT-ELLE ?

Parce que  vous pouvez me croire, à part mon cartable, mes cahiers et mes crayons, personne ici n’était en mesure de rapporter ces événements tragiques. Et je n’avais aucun élément de réponse pour ma défense. Je ne pouvais pas lui avouer qu’un éléphant de trente tonnes dépassé par une poussette de compétition s’était mis en travers de ma route, et pour ne pas finir comme une crêpe sous ses énormes pattes il m’avait fallu un courage encensé pour plonger dans un précipice infesté de crocodile aux dents et à l’estomac acérés. Non, je suis sûr qu’elle ne m’aurait jamais cru et que faute de compréhension elle m’aurait gratifié d’un sérieux coup de pied aux fesses. C’est à la suite de quoi je compris le pouvoir extralucide des mamans. On ne peut rien leur cacher, on ne peut ni mentir, ni feindre quoique ce soit. Je sais que le cœur de ma mère sera toujours le plus grand et le plus fort. Et je sais qu'elle me regardera toujours comme le petit garçon que je suis toujours à ses yeux et qui, aujourd’hui encore, fait toujours attention en traversant la route.             

 

 

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